lundi 3 mai 2010

Suggestion : De l'urgence de confier le Minesup à un “Homme Libre”

Jacques Fame Ndongo et la problématique de la fascination aveugle des intellectuels conservateurs camerounais pour le pouvoir.

Monsieur le ministre, le mercredi 07 avril 2010 dans l'une des salles de la Cnps d'Ebolowa, alors que vous animiez une des multiples rencontres tribales qui polluent l'espace républicain dans notre pays, vous auriez, selon un article du journal Le Jour n° 666 du 12 avril 2010 signé de Jérôme Essian, déclaré devant une assistance médusée : "Nous sommes tous des créatures ou des créations du président Paul Biya, c'est à lui que doit revenir toute la gloire dans tout ce que nous faisons. Personne d'entre nous n'est important, nous ne sommes que ses serviteurs, mieux, ses esclaves ".
Après la lecture de ces propos qui vous sont attribués, j'ai attendu plusieurs semaines pour réagir.

Premièrement parce que j'espérais un démenti de votre part ensuite, parce que, n'étant qu'un sans grade, un simple tirailleur dans l'Armée qu'est le système universitaire camerounais, je me devais, comme l'impose la discipline militaire, d'attendre que le haut commandement du savoir se prononce.
En effet, ce système universitaire est composé d'éminentes personnalités qu'on peut classer ici dans l'ordre de perception et d'importance qu'elles ont d'elles-mêmes : Professeurs Titulaires agrégés des universités Françaises, Professeurs Titulaires agrégés Cames, Professeurs Titulaires, Maîtres de Conférence agrégés des universités Françaises, Maîtres de Conférence agrégés Cames, Maîtres de Conférence, de Chargés de Cours etc. Dans cette galaxie d'officiers généraux, d'officiers supérieurs et d'officiers subalternes, le tirailleur que je suis ne pouvait qu'attendre, attendre l'ordre avant de faire feu.

Votre démenti n'a pas été publié, en tout cas je l'ai cherché en vain.
Par conséquent, je suis en droit de conclure que la presse a bien rapporté vos propos. S'agissant du haut commandement du système universitaire, pour l'instant, je n'ai lu nulle part un papier des " grands Profs ". Probablement occupés à suivre le "17 heures" de la radio publique avec l'espoir, à peine dissimulé, de décrocher un strapontin susceptible de leur faire oublier la terrible condition de l'enseignant, ils ont préféré refuser de voir dans vos propos une insulte à l'intelligentsia camerounaise.
Face à ce qui ressemble à une indifférence, voire à une capitulation du haut commandement du savoir, quoiqu'étant un simple tirailleur, je me sens le devoir de réagir.

Je suis d'ailleurs persuadé qu'en tant que ministre de l'Enseignement Supérieur, Chancelier des Ordres Académiques en charge entre autre, du contrôle des formations dispensées dans les universités, dans un dédoublement de votre personne, vous trouverez une astuce pour me faire décorer pour avoir défendu la citadelle du savoir. En effet, comment comprendre qu'un Professeur de votre rang, même subjugué par un homme politique, déclare publiquement être l'esclave de ce dernier sans que ses pairs et les intellectuels ne prennent la parole pour se désolidariser de lui ?
La première image qui m'est venue à l'esprit à la lecture de vos propos, c'est celle d'un "doungourou" voûté devant un chef traditionnel entrain de recueillir les précieux crachats de ce dernier pour son bain facial. Après examen, rapidement je me suis rappelé que même dans cette posture humiliante, moyenâgeuse et désormais plutôt folklorique, le doungourou, adossé sur ce qui lui reste d'humain, ne proclame jamais qu'il est l'esclave du chef traditionnel.

Vos propos m'ont aussi projeté dans la fameuse république Très, Très Démocratique du Gondwana de l'intellectuel humoriste Mamane qui signe chaque matin une chronique sur une radio internationale devenue "nationale" dans notre pays puisqu'elle diffuse, sur l'étendue du territoire, alors même que la radio publique est aphone à quelques kilomètres de la capitale. Cette radio internationale est dans notre pays si "nationale" que, très souvent, c'est à travers elle que les gouvernants parlent aux Camerounais. Sans probablement vous en rendre compte, vous avez par vos propos présenté M. Biya sous un portrait moins flatteur que celui de Président -Fondateur, le personnage central de cette intelligente chronique humoristique.

En effet, en république Très Très démocratique du Gondwana, malgré la sainte peur que suscite Président - Fondateur, aucun de ces nombreux ministres et conseillers tous N°1 n'a encore proclamé être son esclave. Aussi suis-je persuadé que même parmi ces derniers, pourtant très laudateurs, vos propos soulèveraient un tôlé de protestations. Et pour cause, Président - Fondateur peut être accusé de plusieurs dérives et maux mais pas d'être un esclavagiste. Monsieur Biya dont vous êtes la créature et l'esclave appréciera donc l'image que vous donnez de lui. Toutefois, en vieux briscard de la scène politique camerounaise et eu égard à l'expérience qu'il doit avoir des pratiques de courtisans, y compris des plus rusés, en raison de sa longue carrière politique, il peut, comme beaucoup d'observateurs, logiquement douter de la sincérité de votre très encombrante démonstration de la reconnaisse éternelle que vous dites avoir pour lui, pour toutes les grâces dont il vous a comblées.

Vos propos, historiques pour un intellectuel et pour un Haut Responsable en charge du Ministère de l'Enseignement Supérieur de surcroit, sont un coup fatal porté à la lutte pour la liberté que mènent désespérément des milliers et peut être des millions de femmes et d'hommes retenus contre leur gré et exploités par des négriers et esclavagistes à travers le monde. Le pur bonheur, voire la jubilation, qui transparait de vos propos tend à transformer un état de souffrance extrême, de négation de l'humanité et de la cruauté en situation valorisante et jubilatoire.
Sans être personnellement partisan du débat sur le dédommagement de l'Afrique au titre de la réparation pour la traite négrière, je peux constater, à travers votre heureuse et positive perception de la condition d'esclave, que vous êtes un Avocat de choix pour ceux des Occidentaux qui soutiennent, contre toute connaissance de l'histoire, que la traite a été une chance pour les Africains.
Vos propos du 07 avril dernier constituent simplement l'apothéose d'une posture que vous affectionnez mais qui est aux antipodes de celle qu'on est en droit d'attendre d'un Professeur d'Université, d'un intellectuel d'un homme politique et d'un spécialiste de la communication. Ils rappellent ceux tenus lors d'un meeting public auquel vous avez pris part à Ebolowa il y a quelques temps, en compagnie d'un ministre d'Etat.

Au cours de ce meeting en effet, des propos selon lesquels le président Biya serait la dernière chance des populations du sud avaient été entendus. Des propos de cette nature prêtent à équivoque. Ils peuvent être compris comme une alerte visant à mettre en garde ses paisibles populations contre la menace de mort éventuelle qui planerait sur elles en cas de départ de monsieur Biya de la tête du pays ou, au cas où il venait à disparaître.
Quelque soit votre intérêt personnel à voir monsieur Biya être éternel, rien ne peut justifier que, en tant qu'intellectuel et ministre de la république, vous preniez part à de tels meetings. De tels propos semblent faire de ses populations du sud des otages ou des esclaves des intérêts personnels d'une certaine élite. La dernière chance des populations du sud ce n'est pas le président Biya, mais plutôt le gouvernement qui leur assurera le développement et le bien-être à travers des institutions démocratiques solides. Pour paraphraser le président américain OBAMA, on pourrait dire que les populations du sud et celles du Cameroun en général n'ont pas besoin d'homme éternel, créateur du souffle et du vent, mais plutôt d'institutions démocratiques solides, gages d'un développement partagé entre la région du sud et les autres régions du pays.

Plusieurs fois, vous et votre proche entourage avez proclamé que le président Biya est l'homme du présent et de l'avenir, bref l'homme éternel. Vous venez de compléter le tableau en proclamant qu'il faut tout simplement lui rendre gloire, un peu comme les chrétiens le font avec Dieu. A l'analyse de vos différents propos et postures, le président Biya serait tout simplement monsieur Dieu.
Très modestement, il me semble que votre qualité d'intellectuel doublé de ministre en charge de l'institution qui regroupe et encadre la crème de l'intelligentsia de notre pays devrait vous commander de toujours garder une distance critique. Cette distance critique vous avait déjà manqué en 2006, lorsque vous avez fait préfacer un de vos ouvrages sur les médias qui se voulait pédagogique et didactique par Pierre Messmer, le dernier haut commissaire français au Cameroun d'avril 1956 à février 1958. Ce dernier, jusqu'à sa mort, a maintenu, en dépit de toute idée de réconciliation entre les peuples français et camerounais, qu'il n'avait aucun regret à émettre pour les Camerounais qu'il a massacré durant les deux ans de son règne à la tête du Cameroun.

En s'appropriant le cynisme de ce funeste personnage, on peut comprendre qu'il n'ait pas eu de regret pour avoir défendu les intérêts de son peuple au Cameroun, y compris en écrasant des hommes et des femmes qui, à partir du principe de l'inconciliabilité des intérêts des Etats, défendaient, de bonne foi, le droit de leur pays à accéder à une émancipation politique, économique et stratégique, et s'opposaient à l'indépendance en trompe l'œil que leur proposait Paris.
On est en revanche troublé de constater que, faisant fi de vos fonctions ministérielles et de votre posture d'universitaire, vous ayez choisi comme préfacier de votre ouvrage le bourreau des Camerounais morts pour que vive la république. Votre choix a été pour le moins malheureux, il constitue une grave faute politique et pédagogique. Il laisse penser que vous avez une mauvaise connaissance de l'histoire du Cameroun. A moins que, votre envie de vous placer sous la tutelle politique de ce personnage dont on cherche en vain les liens avec les médias n'ait primé sur la reconnaissance aux morts que tous les Camerounais, et plus particulièrement ceux d'entre eux qui les gouvernent comme vous, doivent aux nombreuses victimes de votre préfacier.
(à suivre)

Par Alain FOGUE TEDOM *
* Universitaire